L'IDEOLOGIE PARMEHUTU
ou le refus de vivre ensemble.
Un débat d'actualité.
L'idéologie du Parméhutu ( ou parti du mouvement de l'émancipation
des Bahutu) est l'objet d'un débat national d'actualité. Certains disent
que ce débat aurait dû avoir lieu dès la fin du génocide. Ils ont peut-
être raison. Quoi qu'il en soit il ne suffit pas qu'une idée soit juste, elle
doit aussi trouver son moment approprié. En outre la sagesse
populaire dit qu'il n'est pas trop tard pour bien
faire.
Le compromis d'Arusha faisait passer tellement de choses et le
génocide peu après en avait perturbé tant d'autres que, pour sauver
l'essentiel, il fallait être prudent afin de savoir ce qu'il était urgent de
sauver, jusqu'où ne pas aller trop loin et jusqu'à quand attendre ; bref,
assumer la délicate tâche d'établir la hiérarchie des urgences et des
priorités. En toute hypothèse, le fait de n'avoir pas vidé l'abcès du «
parméhutisme » aussitôt après le génocide et même d'avoir gouverné
avec le Mouvement démocratique républicain ( MDR), son incarnation
politique, ne peut être un signe dapprobation de son
idéologie.
Plus perfidement daucuns, plus portés sur la polémique, sen vont
disant à qui veut les entendre que le Front patriotique rwandais (FPR),
à la veille des élections, veut faire place nette sur le chemin du
pouvoir en se débarrassant dun concurrent réputé crédible et donc
redoutable. En réalité, le débat est plus fondamental. Le rapport de la
Commission ad hoc de lAssemblée nationale de transition (ANT)
ramène la question du « parméhutisme » sur le devant de lactualité et
nous rappelle, en même temps, quelle est en discussion au sein du
monde politique, sinon dans tout le pays, depuis au moins 1998, lors
des entretiens connus sous le nom d « entretiens du village Urugwiro
» sous la direction de lancien président Bizimungu. La question
sensabla ensuite dans des procédures brumeuses et les non-dit,
portant lattention sur les relations tumultueuses entre les leaders du
mouvement et beaucoup moins sur la nature et les implications de
lidéologie.
Les origines.
Lorsque, en juillet 1959, Grégoire Kayibanda refusait de fonder avec
Prosper Bwanakweri un parti démocratique et préféra fonder un parti
voué à lémancipation des Hutus, il ne se doutait pas en quelles
difficultés il mettait ses héritiers politiques et, pour tout dire, en quel
enchaînement de malheurs il jetait le peuple rwandais.
Il faut dire, en effet, que si la source la plus haute ( pour parler
comme les géographes) du mal rwandais se trouve dans les années 30
quand Mgr Léon Classe, dans une lettre du 21.9.27, recommandait au
Résident Mortehan de réserver le pouvoir à « la jeunesse mututsi »
dans « lintérêt vrai du pays », le mal rwandais prit sa forme concrète
en 1959 avec la fondation du Parméhutu.
La décision fut dailleurs surprenante. Lors de rencontres et de
discussions franches qui se sont étalées sur plusieurs années, de 1950
à 1958, Grégoire Kayibanda navait parlé que de sa volonté de mettre
fin à linégalité criante entre les Rwandais. La séparation des ethnies,
idéologique et géographique, lui aurait-elle été suggérée par ses
patrons dont Mgr Perraudin était le plus important ? On le croirait
dautant plus volontiers que Pierre Tabara, dans son livre (Afrique : la
face cachée. La Pensée universelle, 1992), évoque une rencontre
danciens séminaristes où le prélat catholique aurait recommandé le
modèle suisse pour résoudre le problème rwandais.
Dans la diaspora daprès le génocide de 1994 il existe un courant
dopinion qui place les racines des choses au 1er Octobre 1990 quand
le FPR attaqua la frontière rwandaise, sinon au 6 Avril 94, quand
lavion de Habyarimana sécrasa dans son jardin. Cest, à lévidence, à
bon escient, pour écarter de soi-même ou des siens toute
responsabilité proche ou lointaine dans le génocide des Tutsis qui fut
laboutissement dune idéologie plus ancienne, lidéologie du
Parméhutu.
Un héritier variable.
Le point précis qui oppose de front Faustin Twagiramungu à la
Commission de lANT est clair. Twagiramungu affirme quil existe trois
MDR : le MDR-Parmehutu, le MDR-« Pawa » (power) et le MDR tout
court qui est le sien et naurait rien à voir avec les deux autres. Le
MDR qui est le sien serait exempt didéologie ethniste et meurtrière
(ubwicanyi). Au contraire, la Commission de lANT affirme avoir
constaté au cours de son enquête quil y a une continuité attestée
par documents entre le MDR-Parmehutu de 1959 et toutes les formes
quil a prises jusquaujourdhhui.
Dans son entretien avec Tito Rutaremara le 19.4.03, à la BBC,
Faustin Twagiramungu affirme que si on voulait voir dans son MDR une
continuation du MDR-Parméhutu il faudrait de même considérer le FPR
comme une continuation de lUNAR (Union nationale rwandaise).
Largument nest pas convaincant au moins pour trois raisons : (1°) le
FPR na pas repris le nom de lUNAR, (2°) na pas repris son programme
politique et (3°) a été considéré comme un adversaire et combattu par
un prétendant (le fils de François Rukeba, président de lUNAR) qui
considérait ce parti comme un bien familial ( comme Twagiramungu
considéra le MDR-Parméhutu). A supposer même que Twagiramungu ait
raison de dire que son MDR na pas eu ou na pas lidéologie ethniste
et séparatiste du Parmehutu, il y a, pour le moins, provocation et
indécence à vouloir conserver une dénomination qui évoque, pour un
grand nombre de Rwandais, lexclusion intérieure, lexil et le génocide.
Faustin Twagiramungu affirme aujourdhui que son projet politique
nest pas fondé sur les ethnies. Il lui reste à lexpliciter davantage et à
se débarrasser de tout ce qui favoriserait le soupçon du contraire. Je
songe notamment à un article publié dans un journal canadien (La
Presse ) dans lequel il disait que la vie politique rwandaise devrait
sorganiser autour de la majorité hutu. On aura peut-être lu son
témoignage au Tribunal dArusha (TPIR) pour le procès de Gérard
Ntakirutimana: au sujet du génocide rwandais bien des gens ont été
troublés
par un raisonnement plus proche de la prestidigitation que de la
logique ordinaire.
Toutefois ne boudons pas le plaisir que procure le stade dévolution
où se trouve aujourdhui un héritier variable. Même en létat, il faut se
féliciter dune telle déclaration. Elle touche le fond du mal rwandais, à
savoir le duel entre lethnie et le citoyen pour sapproprier le champ du
politique
La nature du mal rwandais.
Aux origines, le Rwanda était un pays égalitaire : les Rwandais
étaient les enfants du même père (bene mugabo umwe). Linscription
du label ethnique sur la carte didentité et le monopole du pouvoir
réservé aux Tutsis mirent fin au Hutu et au Tutsi frères et
consacrèrent laffrontement et lirruption de lethnie dans le champ du
pouvoir politique. Le chemin était ainsi grand ouvert pour larrivée du
Parméhutu.
Le « manifeste des Bahutu » de 1957 refusait le monopole des Tutsis
institué par une administration coloniale mal conseillée par un prélat
catholique. On ignore encore quelle secrète alchimie transforma ce
refus en une idéologie ethniste au profit des seuls Hutus, le
Parméhutu.
Dans le cadre dun tel projet de société, lEtat et la Nation sont
fondés sur les « ethnies » (amôko) au lieu dêtre fondés sur le citoyen,
comme base de lunité nationale ; dans cette perspective les « ethnies
» ne sont pas égales, surtout pas en nombre. Et ici le contact de
lOccident, avec sa notion de majorité politique, vient semer la
confusion dans les idées en semblant fournir une apparente légitimité
au système construit sur lethnie majoritaire (rubanda nyamwinshi).
Une fois exclu tout danger et toute menace qui viendrait du côté de
lethnie « twa » trop faible et trop peu nombreuse, le conflit rwandais
se réduit à un duel hutu-tutsi. Lidéologie parméhutu va sengager sur
un chemin qui va de la recherche de séparation dans loccupation de
lespace national (cest le sens du télégramme de Kayibanda à lONU, le
13 Novembre 1959, demandant que le « pays tout entier » soit divisé
« en zone hutu et zone tutsi ») à lexclusion des Tutsis ( de la
fonction publique, de larmée, de la considération sociale, etc), en
passant par son éloignement (par lexil forcé) pour aboutir, quand
lexclusion et léloignement savéreront insuffisants, au projet de sen
débarrasser définitivement par le génocide. Cest le sens de
lavertissement solennel de Grégoire Kayibanda quand, le 11 mars
1964, il annonce dans un discours « la fin totale et précipitée de la
race tutsi ».
De 1973 à nos jours, sans jamais disparaître, lidéologie parméhutu
aurait connu différentes appellations : MRND, Pawa, CDR ; même,
selon un député MDR, tous les groupuscules en « DR » comme le PDR,
le RDR, lADR, etc..nen seraient que des variantes. Elle aurait, dans la
région, une diffusion certaine et connaîtrait aujourdhui au Rwanda une
renaissance (ubuyanja) fouettée par la proximité des élections pour
la reconquête du pouvoir.
Sil faut en croire la Commission ad hoc de lANT, lidéologie du
Parméhutu comme « refus de vivre ensemble » renaît aujourdhui avec
tous les ingrédiens des origines : la primauté de lethnie, linégalité
ethnique, la différence « essentielle » entre les ethnies ( par les
origines, les époques darrivée au Rwanda, le nombre) et,
potentiellement, la séparation dans la vie quotidienne et le
séparatisme géographique, et, enfin, de façon prégnante, le meurtre
de lautre dont on naura pas pu se débarrasser par la marginalisation,
lexclusion ou lexil.
Sil est incongru davoir des partis politiques groupés autour dune
croyance religieuse, quelle quelle soit, amenant ainsi la vie privée dans
la vie publique, cela na pas de commune mesure avec lethnisme
politique au Rwanda ni les mêmes résonnances historiques pour un
Rwandais daujourdhui. Dailleurs, le projet de Constitution pourvoit à
de telles dérives.
La démocratie comme nouvelle frontière.
Où donc trouver remède et protection contre le fléau de lethnisme
véhiculé par le Parméhutu? Nous croyons sincèrement que, pour le
Rwanda, hors de la démocratie il ny a point de salut. Il ne sagit pas
dengoûment qui fait chanter la chanson du jour. Il sagit de sincère
conviction. La nouvelle frontière du conquérant rwandais sappelle la
démocratie.
La démocratie, en effet, ne reconnaît de pouvoir légitime que celui
du citoyen, à lexclusion du pouvoir des ethnies, des chapelles, des
familles ou des régions. Elle reconnaît par le fait même que tout
citoyen est égal à tout citoyen ( en droits, en devoirs) et que la
distribution du pouvoir et son exercice ne relèvent que de la décision
souveraine des citoyens.
La démocratie comme nouvelle frontière est une idée forte qui se
trouve, à la fois, en tête du projet de constitution rwandaise et au
centre du programme politique du FPR. Le projet de constitution, en
effet, souvre sur « les droits fondamentaux de la personne » et
prohibe les partis politiques basés sur lethnie; quant au projet
politique prôné par le FPR, sil se décline autour de trois pivots ( un
nouvel art de gouverner, un nouvel art de créer de la richesse, un Etat
de droit), cest en vue dassurer à la personne humaine ( au citoyen)
le bien-être, cest-à-dire ( pourquoi pas ?) le début du bonheur.
Le devoir de lhomme politique :
rendre les citoyens heureux.
En remontant aux origines grecques de la démocratie occidentale, on
rencontre le philosophe Platon (4è s. av.JC) qui compara lhomme
politique à un tisserand dont le métier est dentrelacer les hommes
pour produire lunité de la cité (imbaga yinyabutatu) ; lhomme
politique, pensait-il, doit persuader les hommes de croire à leur
parenté en dépit de tout ce qui les oppose, de se croire liés par la part
éternelle de lâme. Pour son plus fameux disciple, Aristote, lhomme
politique na quun seul devoir : rendre les citoyens heureux.
La nouveauté du projet dans le paysage politique rwandais mérite
dêtre soulignée. A lépoque de la monarchie le citoyen sen
orgueillissait dobéir et devait ses biens et son bonheur à sa docilité et
à la bienveillance de son maître ; à lépoque de la république ethnique,
le citoyen recueillait les retombées de la richesse ambiante, en
fonction de sa proximité avec le représentant éminent de la famille et
de lethnie.
Dans le nouveau projet de société du Rwanda, la personne humaine,
( lindividu, le citoyen) est appelée à être la source des lois et des
biens ; elle en est la justification et laboutissement, la bénéficiaire
finale. La décentralisation et la privatisation sont un hommage rendu à
sa mâturité; la bonne gouvernance, aujourdhui reconnue au leadership
rwandais, témoigne de lestime et du respect quon doit bau citoyen;
la personne humaine est la seule source indispensable de la
prospérité nationale .
.
Le domaine du choix et du débat.
Dans les trois piliers de lidentité rwandaise (kuba, kubaho, kubâna :
être, être là, être avec), le choix et le débat politique ne peuvent
porter que sur les modalités. Nous sommes ici aux frontières où prend
fin lempire de la liberté sans limites et commence la liberté
responsable et organisée. Il serait fou de choisir de ne pas être ; il
serait fou et illusoire de choisir de ne pas être ici-maintenant; il serait
suicidaire pour les Rwandais de choisir de ne pas vivre ensemble : le
Rwanda nexisterait plus.
La compétition politique et le débat qui laccompagne ne portent pas
sur le fait de savoir si le Rwanda doit exister ou non, ni sur le fait de
savoir si les Rwandais doivent vivre ensemble ou non ; ils portent sur
la meilleure façon de vivre ensemble au Rwanda.
Cest pour cela que le Rwanda combat toute idéologie, comme
lidéologie parméhutu, qui cherche à saper les fondements de son
existence comme nation de citoyens égaux.
Servilien M. Sebasoni
24 Avril 2003
Nota Bene : SMS serait selon une source digne de foi Directeur de
l'Information au secrétariat du Front Patriotique Rwandais (FPR au
pouvoir), nous ne savons pas si c'est en cette qualité qu'il nous
propose son point de vue.