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Article paru dans le Nouvel Observateur, n° 2015, du 19 au 25 juin 2003
 
Neuf ans après le génocide
Rwanda L'espoir en trompe-l'oeil
par Claudine Vidal
 
L'adoption d'une nouvelle Constitution ouvrant la
voie à des élections démocratiques devrait permettre à la société
rwandaise de surmonter enfin ses traumatismes. Et pourtant...

Les Rwandais se sont prononcés par référendum le 26 mai sur une
nouvelle Constitution. Le projet a obtenu 93% de oui. Aucune
organisation n'avait appelé à voter non. Des élections présidentielle
et législatives devraient suivre en août et en septembre. Ces
consultations électorales, les premières depuis le génocide de 1994,
mettront fin à la période dite «de transition». La Constitution
reconnaît le multipartisme, prévoit l'élection au suffrage universel
et direct du président de la République (pour un septennat
renouvelable une seule fois) ainsi que d'une Chambre des députés.
Elle abolit tout critère ethnique dans la définition de l'identité
nationale et toute discrimination dans les droits des citoyens. Pour
4 millions d'électeurs, le référendum devrait inaugurer une vie
politique «normale» et plus démocratique que par le passé puisque,
pour la première fois depuis l'indépendance, ils auront à élire leurs
députés. En outre - et c'est une clause révolutionnaire eu égard à la
prépondérance traditionnelle de l'autorité masculine - l'Assemblée
nationale et le Sénat comprendront un tiers de femmes.
Ce référendum devrait être porteur d'espoir: la reconstruction
politique du pays étant désormais engagée, la société rwandaise
pourrait surmonter ses traumatismes et entreprendre de faire vivre sa
jeunesse dans un climat d'apaisement. Pourquoi, alors, ce «climat
politique intérieur de plus en plus lourd» qu'évoque par exemple une
dépêche de l'AFP en date du 24 mai? Pourquoi ces fortes inquiétudes
exprimées par Amnesty International et par Human Rights Watch
(respectivement les 22 avril et 8 mai) sur la situation d'oppression
politique qui prévaut au moment même où est engagé un processus
institutionnel de libéralisation démocratique?
Le régime a été contraint de mettre fin à la «transition» qui
officialisait l'interdiction du débat politique public. En effet, le
pouvoir actuel ne pouvait plus, sans perdre toute crédibilité,
maintenir un système qui aurait dû être aboli depuis quatre ans. Les
années de transition ont été mises à profit par le Front patriotique
rwandais (FPR) pour cumuler des acquis et des privilèges qui en ont
fait un quasi-parti unique, ou plus précisément un parti-État. A
l'heure du référendum, selon le rapport de Human Rights Watch, «douze
ministres sur quinze, les juges de la Cour constitutionnelle et de la
Cour de Cassation, le procureur général de la République, onze des
douze gouverneurs» sont des membres du FPR. Un examen détaillé des
institutions du pays confirmerait la mainmise de ce parti sur
l'ensemble des positions de quelque importance.
Comment ouvrir le jeu électoral sans mettre cette hégémonie en péril?
Théoriquement, la réponse est simple: il suffit de bloquer
l'opposition. Pratiquement, la solution mise en oeuvre exige un
dispositif complexe. Un seul parti, le Mouvement démocratique
républicain (MDR), est capable de faire obstacle aux visées du FPR.
Une commission de l'Assemblée nationale de transition a donc procédé
à une enquête sur le MDR, qui s'est trouvé accusé de «divisionnisme»,
nouveau terme pour «extrémisme ethnique». Une liste de coupables
nommément désignés a donc été publiée et les enquêteurs ont demandé
la dissolution de ce parti. Pasteur Bizimungu, l'ancien président de
la République, aurait été un possible challenger de l'actuel
président: il est donc incarcéré depuis plus d'un an et le parti
qu'il voulait créer a été interdit. Enfin, comme le prescrivait la
«loi fondamentale» propre à la transition, les partis n'ont pas été
autorisés à tenir des réunions publiques et à recruter des adhérents.
L'interdit n'a bien évidemment pas concerné le FPR, qui ne s'est pas
privé d'appeler à des meetings organisés par des autorités locales où
les participants étaient fermement invités à rejoindre ses rangs. Ce
travail méthodique d'étouffement de l'opposition a été complété par
la mise au pas des journaux indépendants, l'emprisonnement de
journalistes et des diatribes violentes à l'encontre des
organisations de défense des droits de l'homme, accusées, elles
aussi, de favoriser le «divisionnisme».
Aussi répressives soient-elles, ces pratiques se déroulent au grand
jour et font l'objet de force discours qui les légitiment. D'autres
sont plus silencieuses: les arrestations, suivies de mises au secret,
les «disparitions» inexpliquées de personnalités très connues et
moins connues, les assassinats, tandis que prennent la fuite ceux qui
craignent de voir venir leur tour. L'atmosphère de terreur qui en
découle achève de briser les velléités de résistance publique,
d'autant plus que le président Paul Kagame a menacé, fin mars, de
«blesser» les «divisionnistes». Personne, au Rwanda, ne pense qu'il
s'agit là de vaines paroles.
Le succès du référendum, préparé avec de telles méthodes, ne
surprendra pas les observateurs. Il reste que le gouvernement
rwandais fait appel aux bailleurs de fonds internationaux pour
assurer le coût des élections prévues: les donateurs (dont l'Union
européenne) auront-ils le sentiment d'avoir aidé les électeurs
rwandais à exercer leurs droits civiques et politiques? Pour y
croire, il leur faudra une très remarquable volonté d'aveuglement.
C. V.

Directeur de recherche émérite au CNRS, Claudine Vidal, spécialiste
de l'histoire politique et culturelle de la violence extrême en
Afrique, a notamment publié, en 1991, «Sociologie des passions,
Rwanda, Côte d'Ivoire» (Karthala) puis, en 2002, avec Marc Le Pape
«Côte d'Ivoire, l'année terrible» (Karthala).
Claudine Vidal